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Les Moulins du Jura : une Histoire d'eau

Le Jura est parcouru par de nombreuses rivières : le Doubs, la Loue, la Furieuse, la Cuisance, l'Orain, la Seille, la Valouse, le Suran, la Valserine, favorables à la construction de nombreux moulins. L'association s'est donnée pour tache d'en faire un recensement complet.

Le Jura, c'est aussi un département au relief très varié : plaine, plateaux jurassiens, montagne jurassienne. Dans la partie plaine dominent les moulins fonctionnant avec des roues à aubes ou par dessous, dans la partie "montagne" les roues à augets ou "par-dessus". A la fin du XIXe ou au début du XXe siècle, beaucoup de moulins jurassiens ont remplacé les roues hydrauliques par des turbines, moins encombrantes et plus efficaces lorsque les chutes sont suffisantes. Les moulins à blé ont remplacé les meules par des cylindres et les bluteries par des planchisters.

Une statistique dressée en 1861 par le service des Ponts et Chaussées recense 886 sites de moulins. D'autres sont connus par d'autres sources. C'est donc approximativement un millier de moulins. Les moulins à blé, appelés habituellement "moulins" sont les plus nombreux, environ 500 moulins équipés en moyenne de 3 paires de meules. Les moulins à une seule paire de meules rares dans la plaine, sont nombreux dans le Haut-Jura peu producteur de céréales.

Mais les "usines" actionnées par l'eau ont eu des fonctions très variées :

  • Scieries, dans le Haut-Jura et sur les plateaux, 273 recensées

  • Tourneries, surtout dans le Haut-Jura, 23 recensées

  • Fabriques d'horlogerie, lunetteries, fabriques de mètres, une trentaine dans la région Morez Saint-Claude

  • Clouteries

  • Tréfileries

  • Martinets, 29 recensés

  • Moulins à écorces, 19 recensés

  • Papeteries et Cartonneries, 19 recensées

  • Moulins à plâtre, 19 dont 13 dans la vallée de la Furieuse

  • Centrales électriques

D'autres usines encore plus spécialisées : 2 filatures, 4 teintureries ou foules pour teintureries, une tuilerie (Ivrey), une machine à pulvériser les cailloux utiles à la fabrique de porcelaine d’Orchamps, 3 patouillets pour laver le minerai de fer alluvial avant sa fonte au haut-fourneau. une « scie sèche » ( ?), une tournerie de fer (Clairvaux), une machine élévatoire pour les fontaines de Champagnole, une « machine à nettoyer » annexe à un moulin…

On trouve aussi des huileries (120), des battoirs à blé (149) et des battoirs à chanvre ou "ribes" (44), le plus souvent associés sur le même site avec des moulins à blé.

La grosse métallurgie (hauts-fourneaux coulant la fonte, affineries produisant le fer, laminoirs…) est présente dans la haute vallée de l’Ain avec les forges de Champagnole, de Syam et de Bourg-de-Sirod. A l’aval, sur le cours flottable, il faudrait rajouter les sites de Pont-du-Navoy et de Pont-de-Poitte… Dans le Vignoble, l’usine de Baudin (haut-fourneau et fonderie) est répertoriée. Si les forges de Foucherans, sur un petit affluent du Doubs, apparaissent, tous les établissements du cours principal sont occultés : les usines de Dole, Lavans, Rans et Fraisans.. Par ailleurs sont mentionnées, dans la vallée de Morez, deux fonderies de plus modeste envergure.

Dans les moulins à eau, ceux qui nous intéressent surtout dans le Jura, on trouve deux types de roues hydrauliques :

- la roue à aubes, dite « par-dessous ». Elle tourne par la poussée de l'eau accélérée par une chute, dans le sens inverse à celui du courant. On la trouve surtout sur les grandes rivières ou les rivières de plaine.

- la roue à augets, dite « par-dessus ». C'est le poids de l'eau dans les augets qui la fait tourner. On la trouve surtout sur les petites rivières, en zone accidentée ou vallonnée. Elle est économe en eau. On peut citer celle de la Saline de Salins-les-Bains

Les Moulins de la Furieuse

Quand l'eau de la Furieuse faisait tourner les moulins

 

De 1800 à 1920, durant plus d'un siècle, la rivière a entraîné les roues d'une quarantaine de moulins (usines hydrauliques) entre sa source et la sortie de Salins.

L'HOMME consomme de l'énergie pour satisfaire ses besoins fondamentaux : nourriture, habillement, logement... Pour alléger sa peine, il a utilisé des animaux et cherché à capter les énergies que la nature mettait à se disposition - le vent et l'eau par exemple - et à les employer partout où cela était possible la rivière est devenue ainsi source de vie. Pour domestiquer les, cours d'eau, des esprits créateurs inventent des moteurs à eau (les roues) qu'ils perfectionnent au fil des siècles pour moudre des céréales, tanner les cuirs, fabriquer du papier, scier du bois, broyer des pierres, malaxer l’argile.

Au début des années 1900, de très nombreux entrepreneurs se lancent dans la construction d'usines hydrauliques. Le moindre cours d'eau est maîtrisé pour faire tourner une ou plusieurs roues qui entraînent des machines à battre (battoirs), des meules à grains, des moulins à tan, des marteaux à comprimer, des hachoirs à tissus, des scies circulaires ou alternatives, des broyeurs, des pompes et des soufflets de forge...

 

Implantations réglementées

Pour faire face à l’explosion de l'industrialisation et éviter son développement anarchique, l'État (le Directoire) décide en 1798 de réglementer les installations d'usines, en particulier celles utilisant l'eau des « rivières non navigables ni flottables », catégorie à laquelle appartient la Furieuse. Dorénavant, chaque utilisateur devra se conformer aux dispositions du « règlement d'eau » établi par l'ingénieur ordinaire des Ponts-et-Chaussées et approuvé par l'ingénieur en chef du département. Pour les eaux de retenue chaque barrage devra respecter un niveau légal matérialité par un repère sur l'ouvrage.

Une usine de la vallée comprend en général un barrage avec un canal d'amenée de l'eau,  une ou plusieurs roues et un canal de sortie (de fuite). Une roue utilise le poids et/ou la vitesse de l'eau pour faire tourner un arbre qui entraîne un axe lequel transmet le mouvement de la rotation par l'intermédiaire d'un renvoi d'angle à une meule ou un broyeur. Le mouvement alternatif nécessaire à la mise en œuvre des martinets, des pompes, des soufflets de forge est obtenu grâce à une roue munie de cames. La roue à augets est le modèle le plus utilisé localement. Son alimentation s’effectue principalement par le haut plus rarement par le milieu (poitrine) ou par le bas. Dans ce cas l’eau agit par sa vitesse. Plus tard, les turbines, plus performantes, remplaceront progressivement les roues.

 

Plusieurs roues

Vers 1880, la Furieuse fournit l'énergie à une quarantaine d'usines hydrauliques qui s'échelonnent entre sa source et le bas de la ville de Salins, soit 120 roues sur 12 Km ! Avec un dénivelé d'environ 250 mètres, l'ensemble peut développer une puissance de 700 chevaux vapeur (CV) avec des rendements modestes. Les fabriques sont équipées généralement de plusieurs roues : Hugues à Moutaine, Patouillet, Français, Bonnet (centre de rééducation), Félin à Salins, pour ne citer que quelques unes notoirement connues. Dans Salins, un canal dit « des Tanneries » prend l'eau au barrage près du moulin Français (actuelle jardinerie) pour approvisionner le moulin Gomez, les tanneries, le battoir à écorce de la Charité et l'usine Girod (actuelle maison de retraite) avant de se jeter dans la Furieuse. Long d'environ un kilomètre, son tracé est parallèle au cours d'eau, sa partie amont est située sur la commune de Bracon. L'énergie disponible dépend des variations du régime torrentiel du cours d'eau. Pour remédier au manque d'eau l'été ou au gel des roues l'hiver, des industriels s'équipent de moteurs à gaz pauvre (gazogènes) plus tard de machines vapeur d'appoint lorsque ces dernières deviendront opérationnelles.

La Furieuse ne constitue pas une exception en France, pas plus que dans le Jura où existent plusieurs centaines d'usines au « fil de l'eau ». Toutefois la concentration industrielle y est très importante.

Salins : moulin Hugues-Patouillet avec 8 roues, 3 meules à céréales, 2 scies, un battoir à blé et un battoir à tan. Le moulin fut habité par les ancêtres d'Edmond Rostand (coll. Motella).

 

Activités multiples

Les activités sont liées essentiellement aux ressources locales agricoles, forestières et minérales et à la présence d'une main d'œuvre qualifiée et très disponible. La meunerie, qui exploite des battoirs à blé et des moulins à céréales, constitue l'activité principale dans les débuts de l'industrialisation. Le nombre de paires de meules caractérise l'importance du moulin. Les sieurs Prost, Chauvin et Fumey à Fonteny, Hugues, Besson.., à Moutaine, Bonnet, Hernoux Salins animent la corporation des meuniers. Lié à l'élevage, le tannage occupe une place de choix. Il consiste à rendre les peaux imputrescibles par un traitement au tan extrait de l'écorce des chênes de la région traitée dans des battoirs à écorce. Progressivement la famille Thurel - des industriels originaires du canton de Vaud - s'impose dans ce secteur par son savoir-faire.

Le débitage des bois locaux prend une place de plus en plus importante au fil des années. Les sieurs Fumey, Besson, Hugues (moulin Patouillet), Pernet (moulin Français), Bonnet et ultérieurement Bouvet exploitent les forêts de la région et transforment sur place le bois en planches, chevrons, madriers de toute dimensions. Le sous-sol fournit les matières premières aux salines, aux gypseries (Besson, Dubuile, Bourgeois, Clément-Raton...) et à la faïencerie (Page). Sous la révolution Jean-Claude Olivier, maître de forge, est autorisé à établir un haut fourneau à Moutaine à condition de fabriquer des projectiles pour la République. Il ne fonctionnera qu'une trentaine d'année, alimenté par du charbon de bois et traitant du minerai extrait localement. Il convient aussi de mentionner la présence des papeteries Magdeleine à Fonteny, Voinet à Moutaine, de la fabrique de ouate Courtaillon (Porte Malpertuis) et d'huileries. Dans la pratique de nombreuses entreprises diversifient leur production. II n'est pas rare de voir un usinier, comme le sieur Cornu du moulin Félin (Pont des Capucins) fabriquer de la farine, du plâtre et débiter du bois ! La faculté d'adaptation des entrepreneurs est remarquable, Ce qui leur permettra de résister plus longtemps que d'autres à la concurrence... À partir de 1870, on assiste au déclin des moulins à céréales au profit des scieries, tourneries...

De 1800 à 1920, durant plus d'un siècle, la rivière a entraîné les roues d'une quarantaine de moulins entre sa source et la sortie de Salins.

La concentration des « moulins » est à l'origine de quelques différents de voisinage qui sont soumis au préfet sous forme de « pétitions » instruites par le service des Ponts et Chaussées.

Par exemple, la création d'une usine hydraulique est mal acceptée par les entrepreneurs travaillant en aval, qui pensent que le nouvel arrivant leur prendra une partie de l'énergie et l'exploitant d'amont qui craint les inondations ou la détérioration de ses berges, La reprise des activités de la forge par Ve Olivier entraîne la protestation des responsables de la ville qui estiment qu'elle menace la pérennité des activités des salines. A Salins Mme Jacquemot constate que sa cave est fréquemment inondée. Après enquête, il s'avère qu'un usinier en amont a modifié son installation afin d'augmenter la puissance hydraulique de son moulin.

En 1883, à Moutaine, les sieurs Racle et Blondel font de la rétention d'eau pour irriguer leur terrain, menaçant de chômage les usines en aval des sieurs Besson, Arbey, Fumey et Voinet. Le tenancier du moulin Français à « la Levée » est accusé d'être à l'origine des débordements de la rivière, qui emprunte alors la rue principale de la ville

En 1895, à là suite d'une plainte de M. Rigal, directeur de la faïencerie, les papetiers de Fonteny-Moutaine sont tenus de place des bassins de décantation pour éviter une pollution des faïences par « l'ocre et l’oxyde de fer » La Rivière proteste parfois contre son statut de domestique. Le 30 juillet 1831, elle emporte le barrage du moulin Félin près du pont des Capucins, justifiant ainsi son appellation de Furieuse...

Par contre les odeurs émises par les tanneries ; le bruit des marteaux, des battoirs, des broyeurs et des scies, la poussière produite par les gypseries ne semblent pas perturber les habitants.

Après la première guerre mondiale, le nombre d'usines diminuent de moitié. Celles qui subsistent abandonnent l'eau au profit de la vapeur, puis de l'électricité. Les facilités de transport avivent la concurrence. Pour subsister les usiniers doivent changer d’activités, diversifier leurs produits, élargir leur clientèle.

 

Parcours du combattant

Propriétaires d'une usine traditionnellement .liée à l'eau, les frères Guy de Fonteny sont les seuls survivants d'une corporation de « moulineurs d'eau ». En 1971, les roues à auget ont été remplacées par une turbine qui entraîne un alternateur (micro-centrale) et les scies sont mues par des moteurs électriques. Héritiers du passé, les frères Guy font aujourd'hui figurent de pionniers depuis que les énergies propres sont l'objet d'une publicité active/de discours convaincants et de mesures d'encouragement.

Malheureusement la réalité est moins idyllique. Le particulier pu le professionnel sans appui qui souhaite suivre leur exemple doit aujourd'hui effectuer un véritable parcours du combattant qui peut durer de nombreuses années sans garantie de succès. Car la demande doit être instruite par au moins quatre organismes et la liste des exigences n'est qu'une longue litanie. Même les spécialistes comme l'AJENA (Asso. Jurassienne pour la Diffusion des Énergies Alternatives) reconnaissent la difficulté de l'entreprise. Un entrepreneur salinois en sait quelque chose, pour qui l'opération s'est apparentée à un « chemin de « croix », avec abandon du candidat. M. Kavaltchouck raconte :

« J'ai acheté le moulin Patouillet en 1962 pour l'utiliser comme scierie-tournerie. En 1967, sans me demander mon avis le barrage sur la rivière a été écrêté de telle sorte que ma turbine n’était plus assez alimentée en eau. Toutes mes démarches entreprises pour faire respecter mes droits et plus tard remettre en service ma turbine sont restées vaines »,

Grâce à leur esprit d'initiative et à la souplesse des pouvoirs publics, nos ancêtres avaient réussi à tirer le meilleur parti de la rivière dans la plus grande discrétion. Aujourd’hui le citoyen est légitimement en droit de se demander si la promotion d'une énergie connue depuis des lustres n'a pas pour effet pervers de multiplier les technocrates au lieu de fabriquer de l’électricité « propre ».

En conclusion, souhaitons bonne chance à ce jeune couple qui vient de restaurer un moulin le long de la Furieuse. Mais si le mur administratif reste en l’état, ce n’est pas demain que nous pourront rendre compte de l’inauguration officielle de son installation.

Maurice Cornebois (Avec la collaboration de Serge Dumont)

Sources : archives départementales, archives particulières, témoignages. Illustrations fournies par Mme Bellague et MM. Flamme et Montella.

Faubourg Saint-Pierre : la faïencerie Granger-Rigal-Charbonnier (au centre), le moulin Felin avec ses 9 roues, 4 meules, une gypserie et 3 scies (en bas à droite) et la tannerie Thurel au dessus de ce dernier (collection Flamme).

Travail dans les fosses de la tannerie Thurel de Bracon (coll. Motella)

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Scierie à Villards d'Héria

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Moulin de Fonteny

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Moulin Marnoz

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Moulin Neuf

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Scierie Guy

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Scierie Martinet du Haut

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Scierie Faton

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Tournerie

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Battoir et scierie

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